IN THE PAINT




2020 >


Michael Jordan est sans doute jusqu’à présent le plus emblématique des joueurs de basket-ball, mais pas seulement. Rares sont dans le sport les athlètes capables d'une telle compétitivité et férocité dans le geste. On raconte qu'un jour face à un adversaire, il aurait dit: « You sure, be careful, you never talk to Black Jesus like that…. » Dans sa carrière, il a marqué 32,292 points et avec ce projet, je voudrais raconter cette performance de vie…


Just play. Have fun. Enjoy the game.
Michael Jordan


In The Paint est un projet participatif et performatif dont le but est d’atteindre les points marqués par Michael Jordan dans sa carrière au cours d'une série de happenings organisés sur plusieurs terrains de rue. Le projet est conçu comme un instrument d'engagement et de dialogues entre les résidents et l'artiste dans le seul but d’atteindre un objectif commun. Le terrain comme lieu de rencontre deviendra un espace sans frontières, un véritable laboratoire social, éthique et politique.


Practice? We’re talking about practice, man…
Allen Iverson


In the Paint s’inscrit dans la continuité de ma recherche autour de l’effort et du collectif, j’ai réalisé dans le cours des dernières années des projets qui explorent ces thématiques comme par exemple Paris/Roubaix une performance où l’artiste accompagne les cyclistes de la célèbre course, de bout en bout, seul dans sa chambre avec son vélo d’appartement. Ou encore San Siro 82955, un portrait consacré au stade éponyme de Milan, conçu comme une collection de peintures, qui met en scène ses fans plutôt que les joueurs de football bien connus ; Les 82955 portraits portent l’accent sur l’anonymat de son unique sujet: le public / la masse. Puis, dans The Thousand, une installation de 850 bois gravés, le portrait « des Mille de Garibaldi » présente Mille hommes, Mille individualités pensantes et engagées, qui nous rappellent notre propre singularité, la possibilité de notre propre rôle et sa nécessité. La recherche autour du collectif et de communauté est encore présente dans Geometric Youth, un projetévolutif et participatif qui pose le tatouage comme marque identitaire, le tatouage devient une métaphore de l’expression d’une certaine unicité, se mêlant à la masse.


Hard in Da Paint.  
Waka Flocka


L’iconographie populaire et son histoire a toujours habité les artistes et leur art, et sans doute plus particulièrement les artistes qui se confrontent aux questions du corps au travail, du corps athlétique, du corps engagé dans l’effort. La figure de l’athlète a toujours été omniprésente, d’âge en âge, de culture en culture. Du Discobole de Myron aux sculptures de Arno Breker, des images de Pok-ta-Pok chez les Maya aux joueurs de football de Henri Rousseau, les multiples danseuses de Degas ou plus récemment les premières performances de Matthew Barney. Cette iconographie est au coeur même de notre patrimoine culturel, se faisant endroit névralgique d’où les images éclosent, les imaginaires se croisent, se nourrissent et se forment. C’est à travers ce patrimoine culturel commun qu’une osmose peut s’opérer au-delà des strates sociétales, strates que la figure de l’athlète a le pouvoir de fédérer par sa puissance évocatrice.

Aujourd’hui le basketball avec ses pratiques, ses symboles et ses mœurs, fournit un matériau parfait pour explorer une forme de « célébration performative communautaire », dépasser la notion de classes tout en pointant en sous-texte l'ironie implicite rattachée au luxe et au succès de son écosystème. Les joueurs de la NBA figurent parmi nos « héros contemporains » et traduisent une vision générale de notre société et de ses aspirations. Discipline, rythme, finesse, complexité et caractère sont puissamment réunis dans le basketball et dans sa culture spectaculaire. C'est un véritable palimpseste narratif dont la perfection formelle et collaborative est la somme d'autant de qualités que l'on a pour habitude de porter en valeurs et exigences.

Sur le parquet nous sommes à la jonction entre le monde réel, le monde performant (celui de l'effort et du résultat) avec le monde de l’idéal, de l’utopie collective. In the paint, par son process collaboratif et artistique nous permet de passer du performant au performatif.

Cette forme d’utopie collective amène le spectateur à une posture romantique. Il y a potentiellement deux façons d’appréhender une vision romantique : celle de l’individu engagé dans une lutte contre un environnement démesuré, et celle qui aspire, par le rassemblement et la cohésion, à l'ambition de résister à un environnement dominant et d'en déconstruire les travers. In the Paint se réalise et trouve sa cohérence dans cette deuxième perspective. Le caractère participatif de l'oeuvre sert justement l'idée d'un effort collectif de la part d'un groupe hétérogène de personnes, venant de tout horizon, pour accomplir le même travail dans le but d'égaler ensemble la perfection exemplaire du résultat d'un seul homme, Michael Jordan.

Le choix de performer sur un playground (terrain d’extérieur) et non sur le parquet d’un terrain fermé participe au positionnement à la fois historique et esthétique de In the Paint. S’inscrire et performer  « sur le terrain » fait résonance directe au titre et au parti pris de la performance : In the paint induit la notion « d’y mettre les mains », d’être sur le terrain, de se confronter à l’espace public, cet espace de vie autant sauvage que fédérateur, tantôt agora ou champ de bataille… C'est dans cet espace non protégé, ouvert à la rencontre, à l’aléatoire et au fortuit que In the Paint oeuvrera tout en gardant les règles et l'aspect de sa version « indoor », les feux de la rampe en moins.

Tirant le fil de son positionnement politique, il n'y aura dans In the Paint pas d'équipe opposante. Il n'y aura pas d'ennemi. La compétition est amenée à un niveau supérieur, au rang plus élevé de l'accomplissement d'un idéal commun. La sérialité de l'oeuvre, qui se réalisera à travers une série de happenings, assurera l’ouverture, l'élargissement du groupe et de l’événement et par conséquent une certaine continuité humaine et historique. De par sa nature de vagues performatives successives, In the Paint affirmera son inscription, dans du temps et des espaces, de communauté collaborative et performative.

Si In the Paint prend appui sur son caractère politique et idéaliste, il n’en négligera pas pour autant son ambition esthétique. Le playground y deviendra le support d'une action artistique, voire le socle d'une sculpture en mouvement, communauté performante et performée, qui révélera sa charge esthétique et force poétique à l’image de ce que semble être une oeuvre publique : un monument à la première personne du pluriel.


At the end of the day it’s still just basketball.
LeBron James


Moyens mis en oeuvre : Pour mener à bien la mise en place de cette succession de happenings, je m’appuierai sur la complicité des partenaires artistiques du projet pour me mettre en réseau avec des habitants, clubs, associations, maisons de quartier (etc…) pour aller à la rencontre d’un maximum de personnes. Sera mené avec elles une série de rencontres/workshops sur la question de la performance et de ce qui fait oeuvre. Qu’est-ce qui fait performance ? Qu’est-ce qui fait oeuvre ? Comment en conscience et collectivement ces personnes se feront auteur.e.s de In the paint…


I'm going to come out and tell it like it is.
Dennis Rodman


Par ailleurs, je prévois lors de chaque événement de filmer l’intégralité de l’happening avec la finalité de produire un film d'artiste qui retracera la démanche du projet. Le film aura à la fois un caractère documentaire et lyrique montrant les différents aspects de l'expérience. D'une part, il montrera la mise en œuvre et les aspects relationnels, mais aussi une représentation plus poétique qui sera plus axée sur les aspects artistiques du projet. On retrouvera les moments de jeu sur le terrain mais aussi les portraits des joueurs. Le montage utilisera toutes les images filmées dans les différents endroits qui auront accueilli le projet durant la phase de réalisation. Le résultat donnera au film une vision plus large donnant une vision plus intime entremêlant l’utopie du projet et les rêves des joueurs.  


I just shoot until I feel good.
Larry Bird